Projet réalisé dans le Val d'Anniviers, à l'occasion de l'Enquête Photographique Valaisanne 2016
This body of work was made in the Val d'Anniviers in Switzerland for the 2016 Enquête Photographique Valaisanne. The Giant is a metaphor for the glacier lying at the end of the valley.
Le géant c'est d'abord le glacier, celui de Zinal, celui de Moiry ou même celui d'une autre vallée, celui d'un autre pays, celui d'un autre continent.
Le géant c'est celui qui se tient accroupi au fond du val d'Anniviers, adossé contre les cols et les parois argentées. Et qui gémit doucement en enfilant son manteau rétréci et recouvert de sang (1).
Le géant c'est le vide sous nos pieds qui porte le souffle des voix qui montent. Le souffle de ceux qui partent bosser, de ceux qui partent skier, de ceux qui partent pour toujours, de ceux qui ne partiront nulle part.
Le géant c'est aussi celui qui murmure ce bruit sourd et continu qui sort peut-être du fond du lit de la Navizence et qui se confond parfois avec celui du sang qui coule dans tes propres veines, quand tu restes trop longtemps seul là-haut avec toi-même (2).
Le géant c’est celui qui porte les cloches des vaches, et qui compose la musique au rythme de leur quatre estomacs. C’est lui qui leur donne envie de se battre encore au printemps.
Le géant c'est l'architecte qui élabore les ponts et les cités volantes pour les passereaux, les niverolles,
les grands corbeaux,
les chocards à bec jaune et ces quatre aigles royaux qui traçaient des cercles parfaits, si haut ce matin là.
C'est encore lui qui leur montre comment faire pour tirer parti des courants d'air.
Le géant c'est la montagne qui veille depuis la nuit des temps, qui vomit l'avalanche au Fond des Plats et qui crache les torrents épais à la fonte des glaces.
Le géant c'est ce vieux chef aveugle (3) qui fronce un peu trop les sourcils à l'arrivée d'un étranger dans la vallée. Mais qui finit par aimer ses histoires à défaut de percevoir les images qu'il rapporte d'en bas ou d'un pays lointain.
Le géant c'est ce rocher troué de cupules qu'on dit vieux de plus de 3'500 ans, au ventre gonflé comme la lune
et vautré comme un roi dans les mélèzes.
Le géant c'est les mains rugueuses d'un Dieu dont on voudrait qu'il nous passe la main dans les cheveux plus souvent.
Le géant c'est ton ombre portée qui vient à ma rencontre sur la route entre le village de Chandolin et le départ du télésiège.
C'est ce qui fait la force de l'instant présent.
Ce qui fait qu'aucun jour ne se clone, et ainsi que les êtres et les choses restent en mouvement.
Anne Golaz 2016
(1) Le sang des glaciers – Chlamydomanas nivalis, est un végétal unicellulaire appelé aussi algue des neiges, qui pousse dans des conditions climatiques polaires ou alpines en se reproduisant sur les plaques de neige qui persistent toute l’année.
(2) S.Corinna Bille. Le sabot de vénus - Chandolin avant Chandolin. Plaisir de lire. 2008: « On entend sourd et continu, un grand bruit comme celui d’un feu très proche: le bruit de notre sang. On est seul avec son corps et seul avec son âme. Il n’y a plus qu’à lutter avec sois-même ou s’entendre. »
(3) Dans la légende de Zachéo qui raconte comment les habitants du val d’Anniviers auraient été christianisés par le nain Zachéo, le chef aveugle présidant le conseil ordonne que le nain soit jeté dans la plus profonde crevasse du glacier. Pourtant, avant de le sacrifier au géant de glace, les Anniviards l’on écouté raconter les histoires de son livre sacré.